Limportance dun enregistrement du temps fiable
À qui la charge de la preuve incombe-t-elle en ce qui concerne les heures supplémentaires ? Si lemployeur ne dispose pas dun outil qui lui permet denregistrer de manière fiable le temps de travail quotidien, il doit, selon la Cour du travail de Bruxelles, démontrer que le travailleur na pas presté les heures quil prétend.
Les faits
En 2016, une dame est licenciée. Le montant de son indemnité de rupture, et plus particulièrement le nombre dheures supplémentaires prestées, donnent alors lieu à des discussions. En juin 2019, la Cour du travail de Bruxelles intime à lemployeur de démontrer que lenregistrement du temps de travail dans son entreprise est conforme à la description donnée peu de temps auparavant par la Cour de justice, à savoir un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.
Le 22 mai 2020, la Cour du travail de Bruxelles constate que lemployeur na pas réagi à temps à cette requête. Lemployeur ne démontre donc pas quun tel système fiable denregistrement du temps est en place et est dès lors obligé de fournir la preuve des heures qui ont été prestées. Comme il ny donne pas suite non plus, la travailleuse obtient gain de cause sur toute la ligne.
Larrêt nest pas intéressant tant en raison de la situation de fait sur laquelle une décision a été rendue, que parce que la Cour renvoie la charge de la preuve des heures supplémentaires à lemployeur.
Directive européenne
Le temps de travail est une matière européenne, régie entre autres par la directive sur le temps de travail de 2003. Cette directive, à laquelle notre législation belge en matière de travail a été adaptée, prévoit entre autres que le temps de travail maximal en Europe est de 48 heures.
Cette directive fait parfois lobjet de discussions devant la Cour de justice de lUnion européenne, entre autres en 2019, dans larrêt « CCOO », du 14 mai 2019. Cet arrêt porte sur une discussion entre un syndicat espagnol et la Deutsche Bank. Le syndicat revendiquait un système fiable denregistrement du temps de travail, car selon les travailleurs, de nombreuses heures supplémentaires étaient prestées sans être rémunérées.
La Cour de justice européenne confirme que les mesures de protection de la directive sur le temps de travail sont compromises à défaut dun tel système.
« En effet, la détermination objective et fiable du nombre dheures de travail quotidien et hebdomadaire est essentielle pour établir, dune part, si la durée maximale hebdomadaire de travail définie à larticle 6 de la directive 2003/88 ... a été respecté », communique la Cour de justice européenne.
La Cour de Bruxelles
Sappuyant sur cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles en déduit que la directive sur le temps de travail implique lobligation pour un employeur dinstaller un tel système fiable denregistrement du temps (arrêt du 22 mai 2020). À défaut, lemployeur doit apporter les preuves nécessaires afin de réfuter les affirmations du travailleur.
Larrêt a toutefois fait froncer de nombreux sourcils et ce, pour deux raisons.
Dabord, la directive na pas deffet direct. Cela signifie quen tant que citoyen, vous ne pouvez pas linvoquer directement. Vous pouvez argumenter que la loi belge nest pas conforme à la directive, mais cela ne signifie pas que le juge peut créer une règle de droit qui serait conforme à la directive.
En outre, de nombreuses critiques ont été formulées en ce qui concerne le renversement de la charge de la preuve que la Cour déduit de larrêt CCOO. Cest une conclusion que la Cour européenne na pas tirée. La Cour a simplement déclaré que la directive sur le temps de travail ne peut avoir un plein effet sil existe un système fiable denregistrement du temps de travail.
Pas de révolution
Le raisonnement de la Cour peut être mis en doute, car dans la pratique, la plupart des Cours en seraient venues à la même conclusion, même sans référence à larrêt CCOO et à la directive sur le temps de travail.
Si un travailleur affirme quil a effectué des heures supplémentaires, un juge examinera dabord si les arguments et les preuves avancés par le travailleur ont une quelconque force de conviction. Si cest le cas, lemployeur a la possibilité dinvalider ces éléments ou de soumettre ses propres preuves. Le juge pèsera alors chaque élément, puis rendra son verdict.
Dans la pratique, un employeur ne peut se limiter à une position de principe (« dans mon entreprise, les heures supplémentaires ne sont pas autorisées »). Dans le passé également, des employeurs ont été condamnés au paiement dheures supplémentaires parce quils nont pas réussi à convaincre le juge quils avaient raison.
Mais larrêt rappelle quun système efficace denregistrement du temps de travail est indiqué, tant pour lemployeur que pour le travailleur.